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« … la guerre me semble la recette la plus sordide et la plus hypocrite pour égaliser les humains et que je n’admets pas plus la mort comme expiation au lâche que comme récompense aux héros » (Hector dans La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, Acte II, scène 5).

Partage sur une BD qui m’a marquée dernièrement: War Songs. Attention, une BD dure et crue, à ne pas mettre ou laisser entre toutes les mains.

Bien que cette BD soit relativement ancienne (éditée en 2010) et qu’elle ait fait l’objet d’une sélection officielle à Angoulême, j’avoue que j’étais passée totalement à côté. C’est en fouillant un rayon de BD concernant l’aviation que je suis tombée dessus, il y a quelques jours. Elle devait avoir été déplacée par un client mais, comme le hasard fait bien les choses, j’ai commencé à la feuilleter dès que je l’ai eu en main.

Ce qui frappe de prime abord, c’est cette couverture qui annonce sans fard un propos qui n’épargnera pas celui ou celle qui osera passer la couverture. Nous sommes donc prévenus.

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©Glénat Drugstore

Ensuite, il y a ces personnages aux têtes un peu disproportionnées par rapport à leurs corps. Leurs expressions assez marquées permettent d’attirer l’attention du lecteur dans un environnement très simplifié.

La colorisation, dans les tons pastels, est limitée. Elle n’accroche pas le regard, de manière à ce que justement on soit obligé de scruter tous les éléments qui composent chaque vignette, après les visages des protagonistes.

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©Glénat Drugstore

C’est que tout compte dans une BD qui porte des messages très forts et surtout, sans aucun dialogue! Au mieux, les réactions ou les pensées des personnages sont « traduites » au travers d’un discours universel, celui de pictogrammes/idéogrammes censés être aisément compréhensifs.

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©Glénat Drugstore

Bien que basique, le discours n’en est pas moins cynique et sans compromis. On est dans le brutal voir le caricatural. Tout à fait dans le style d’un dessinateur qui ne semble pas faire de concession dans sa vie privée et vit à fond ses autres passions, la peinture et la musique. Il joue et se sert même du fait qu’il est considéré comme un artiste underground et catalogué comme trash. Une « carte blanche » qu’il assume totalement: il nous renvoie en conséquence un upercut en pleine face. Petit exemple avec un épisode qui ressemble étrangement au scandale de la prison d’Abou Ghraib.

Il faut dire qu’Ivan Brun n’en est pas à son coup d’essai. Loin s’en faut. War Songs est en quelque sorte le second opus d’un ouvrage novateur paru un an avant et intitulé fort à propos No Comment. Dans cet ouvrage faussement naïf, Ivan Brun dressait déjà un bilan très dur d’une condition humaine en pleine déchéance et à la merci de ses instincts.

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War Songs est une compilation de planches et d’histoires courtes (au nombre de 13) qui permettent une multiplication des points de vue: l’otage, la mère de famille, le jeune émigré, le militaire, le politicien, l’homme d’affaires… des gens ordinaires, comme vous et moi. Des gens auxquels on s’identifie aisément. Car chacun mène une guerre quotidienne à son niveau. Pour (sur)vivre, par ambition ou par réalisme froid. Homo homini lupus est, « l’homme est un loup pour l’homme », autrement dit : l’homme est le pire ennemi de son semblable, ou de sa propre espèce (Thomas Hobbes, De Cive). Sauf que dans la version d’Ivan Brun, malgré le contrat social ou peut-être grâce à lui (perversion ou hypocrisie du système), la nature véritable de l’homme se perpétue. « Il règne une peur permanente, un danger de mort violente. La vie humaine est solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève ».

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©Glénat Drugstore

Rares sont ceux qui échappent à ce « conditionnement » qui débute dès le plus jeune âge, notamment au travers des jeux vidéos. On peut même s’interroger sur les « rédemptions ». De quoi flirter avec des tentations morbides, qui se réaliseront… ou pas.

War Songs est donc un album engagé et corrosif. Que vous adhériez ou pas, il ne vous laissera pas indifférent et le propos fera écho d’une manière ou d’une autre avec votre propre histoire. Pour une prise de conscience?

Petit bémol: on est tellement concentré dans l’histoire, qu’on ne se rend pas forcément compte quand on en change. D’autant que parfois certains personnages semblent récurrents.

War Songs, Glénat Drugstore, 2010. 

1- Lire un extrait de la BD

D’autres extraits accompagnés de quelques critiques

2- Interviews d’Ivan Brun

3- On en parle:

4- Le tumblr d’Ivan Brun

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©Glénat Drugstore